42-Cro'ate pour télescopes et jumelles

Un passage musical les amis?

Mois de Mars, dernière nouvelle Lune d'hiver.
Dès le coucher du Soleil, on sent qu'il faudra patienter avant de ranger ses petites laines. Les nuits sous le ciel dégagé sont encore bien froides et dans cette frilosité, je salue avec un sifflement d'admiration la frivolité le courage des premiers batraciens et criquets.

La musique printanière a entonné ses premiers chants, les accords se composent en couleurs de verts divers, les pastels des fleurs d'amandiers, le jaune intense des fleurs des champs qui semblent rivaliser pour avoir la faveur des abeilles encore rares.
(c'est pas parce qu'elles seraient fainéantes, non non non, c'est parce que la grande Ourse est haute dans le ciel et qu'elle ne veulent pas se faire piquer leur miel, si si si)
Comme s'il voulait participer à ce renouveau, le ciel de fin d'hiver se montre d'une riche inspiration et nous offre une merveilleuse sonate, écrite avec les astres à notre portée.

Avanti la musica !

Une ouverture en douceur, comme l'est encore la température ambiante.
Des discrets coups de triangle allument les premières notes : Sirius, Procyon et Mars, et là haut Capella ! Ah, voilà Orion qui semble dessiner l'armure.

Il est temps de m'occuper des instruments : le Zozoscope…OK, il ne se désaccorde pas vite, juste le mettre au diapason avec la Polaire. Le T300, un coup de clé et la collimation est bonne, plus qu'à attendre que le miroir soit bien tempéré et sans comma.
Les jumelles sont mises sur trépied pour être dirigées debout.
Encore isoler la scène des fausses notes qui éclairent le village en bas…Maestro, c'est à vous !

Premier mouvement, allegro ma non troppo

Sirius, formant avec Procyon et Bouteille de Geuze le triangle d'hiver, claironne sa brillance au Sud. Faut dire que comme triangle, font du potin ces trois là !
Arcturus le cuivré et Spica l'argentée montent déjà à l'Est, entrainés par la courbure du timon de la grande Ourse.
La Voie lactée amorce son coucher sur l'horizon Ouest…

Mélodie tant de fois chantée pendant des mois et toujours aussi entrainante, obsédante même car on sait page de cette partition bientôt tournée, la nébuleuse d'Orion ouvre le bal.
Les cordes, jouant en larges plages, étendent les voiles et les retours d'archet ondulent le cœur de la nébuleuse. Avec des tintements de cristaux, les étoiles du trapèze se détachent du fond nuancé. Deux petites appoggiatures accompagnent le quartolet : les composantes E et F.
Elles sont aussi bien visibles au 150 qu'au 300, du moment que le grossissement est suffisant (rien à 75x, ouaip à 150x) et la turbulence pas trop vache (meuh c'est rare ici que ça perturbule trop)
Ah cette nébuleuse vaut bien une symphonie à elle toute seule, mais je vais continuer mon croatorio sur des petites perles pas très connues.

Pour commencer, avant qu'il ne soit trop tard pour la visiter : l'étoile carbonée Hind's Crimson star, dans le Lièvre (indiquée dans le PSA)
Jamais vu d'aussi rouge que celle-là ! Queen Crimson !

Dans un autre registre, les amas ouverts. Véritables improvisations pour instruments à vent, percussions et harpe.
D'ailleurs, NGC 1502 , bijou qui pend au collier formé par la cascade de Kemble, ressemble à une harpe je trouve, avec une main pinçant les cordes…
Il y a tellement de formes, avec des avalanches de petites notes, des ténors qui donnent la dominante, les nuances des vieilles étoiles en majeur, les jeunes en mineur…

NGC 2281, à mi-chemin entre Castor et Menkalinan (la copine de la Cappella), me fait penser à ceci : .
La forme je veux dire, pas spécialement une note salée.

J'aime imaginer des formes, des histoires…
En écoutant de la musique, c'est plus facile car on peut fermer les yeux .
Ici il y a la partition à suivre, le métronome impitoyable qui fait tourner terre et ciel…ce ne serait donc pas étonnant du tout que vous voyez tout autre chose que moi. Même que d'une nuit à l'autre, sa propre vision peut s'altérer.
Ma grosse chouette en vol vue de face, NGC 2301, au milieu du triangle d'hiver, je ne la perçois plus ? ( Pas grââve, c'est un bel amas, faut pas non plus voir des choses partout : on pourrait croire que la moquette était douce !)

Près de Sirius, on se laisse enchanter par un très joli canon céleste : la paire M46/M47 reprise plus bas par NGC 2477/2451
Les deux couples ont le même champ et arborent le même arrangement.
Etoiles brillantes et assez dispersées pour M47 et NGC 2451, amas plus dense et composé d'une multitude de faibles étoiles pour M46 et son sosie.
Quelques variations : NGC 2477 n'a pas la touche du hautbois qui ornemente la nébuleuse planétaire nichée dans M46. Mais son compagnon, NGC2451, a une plus grande tessiture avec sa brillante orangée en guise de trombone.

M46/47, (PSA27) à l'Est de Sirius, environ deux fois la prolongation Mirzam > Sirius, se trouvent facilement et sont visibles au chercheur.
Leurs confrères sont également dans la Poupe, mais bien plus au Sud, près de zèta.
Il m'a néanmoins fallu quelques répétitions, avant d'être en mesure de suivre au pif ce canon en rythme !
L'exercice en vaut la peine car la ressemblance est surprenante.

Entre nos deux couples, ne manquez pas NGC 2362 ! Magnifique gruppetto autour de tau CMaj. De là, faites un glissando vers la tête du chien, l'Albiréo d'hiver vous attend (indiquée h3945 dans le PSA carte 27)

C'est un bonheur aussi de s'offrir ces partitions aux jumelles, en stéréo!
Richissime en amas ouverts, on a l'embarras du choix en navigant sur le grand bateau du ciel d'hiver : la poupe, les voiles, la carène…ça mérite une croa-sière ! (titre réservé copyright synco pour l'année prochaine)
Une visite au flirt de Mars avec une petite bleutée termine ce premier mouvement.
Tellement bien interprétée par Scopy, je vous invite à réécouter sa version .

Deuxième mouvement, largo.

Elle s'est couchée la Voie lactée, emportant avec elle les parties bourrées de petites notes rapides mozartiennes .
Maintenant la fenêtre s'ouvre sur les profondeurs de l'espâââce, vers les galaxies.
Ah, faut de la majesté là, du grandiose, du solennel.
C'est en millions d'années lumière qu'on compte, une musique venue du temps où le bruit sur terre devait être effrayant.

Une basse-continue pour le ciel dépourvu de sa guirlande, une soufflerie d'orgue en murmure, avec des accents discrets pour les galaxies les plus brillantes.
Oui, elle vient de loin, il faut mettre toute son attention pour capter cette beauté.

La chaîne de Markarian, merveille de ligne mélodique, est complétée par des galaxies voisines disposées en contrepoint. On s'approche de la polyphonie !

Elle atteint les sommets avec M51, une exquise fugue d'un noyau à l'autre.
Quel émotion quand les galaxies se mélangent en parfaite harmonie !






Les Antennes (essayez après l'obligatoire visite du Sombréro) ne se laissent pas facilement apprécier. Au T300, ça commence à causer, sans toutefois distinguer les « antennes » elles-mêmes. C'est un cœur qui se dessine ! Admirable !
Beaucoup plus difficile, la voisine NGC 4027 semble elle aussi s'être laissé tenter par une fugue avec son petit ami.
De cette rencontre je ne distingue malheureusement qu'un très vague « haricot »…

Il faut bien un fou dans cette cour royale , histoire de revenir un peu sur terre.
NGC 3242 remplit parfaitement ce rôle !
Le « fantôme de Jupiter » est une nébuleuse planétaire très brillante, une cymbale !
Prototype même de cette dénomination de nébuleuse : par son disque, cela ressemble à une planète. Pourquoi Jupiter ? Aucune idée, le diamètre apparent peut-être, faudrait que je vérifie.

Et la partie de continuer, l'arrivée du troisième mouvement s'annonce en fanfare.
Attention les amis, ça déménage !
On le voit, à l'œil nu…prêt à exploser…Je lui mets la sourdine pour faire durer le plaisir en pointant un peu plus au Nord, la galaxie coupée Centaurus A (NGC 5128)
On pourrait la comparer à la nébuleuse de la flamme : une tache grise traversée par une large bande sombre. Connaissant la nature des deux objets, un décrochement de mâchoire n'est pas à exclure .
Bien, paré pour le choc ?
Cap 4° Sud !

Vingt Cieux de….de….de….mille milliards de …de je ne sais pas.
C'est époustouflant ! Oméga du Centaure, permettez-moi de baisser le regard, de fermer les yeux et de me rendre compte que je ne rêve pas.
Comment décrire ce globulaire ? Prenez M13, multipliez par deux, oui, au moins deux.
Prenez Oméga au chercheur, c'est comme un globulaire « normal » au télescope.
Bref, énorme. Ce n'est pas une assiette de couscous, c'est une table ronde remplie !

Grossissant avec le T300, ou en grand champ avec le Zozoscope, ou dans son jardin aux jumelles…assurément le point d'orgue de ce deuxième mouvement !

Troisième mouvement, rondo vivace

Ah ça vous donne la tonique une vue pareille !
La Voie lactée se lève, version été : le Scorpion se dresse, Véga en haut de l'échelle ramène les souvenirs d'été à l'unisson.
Quelle symphonie ! Voulant tout jouer, c'est aux jumelles que je passe d'un ornement à l'autre.
La « fausse comète », le tournant Ouest de la queue du scorpion balance pizzicatos sur pizzicatos. Les retrouvailles le long de la partition lactée du Sagittaire vers Deneb, Messierci, Mça, Mici, Mlàbas, Màgauche, Màdroite, en haut en bas…
Yihaaaaaaaaaaaaa !

Bon, place aux nouvelles arias ?

Flottant dans les mers du Sud, un hippocampe .
Amas ouvert tout sympa et bon digestif après le copieux Oméga Centaure.
Il s'agit de NGC 5460. A offrir comme pendentif à sa copine des Vahinés.

Ah oui, question globulaires plus modestes, ça ne m'étonnerait pas que beaucoup d'astrams passent leur dire couscous sans toutefois s'attarder : ben oui, un globulaire quoi…
Il faut le faire ! Sont tous différents ! M4 est un exemple bien connu avec sa « barre », comme ci quelqu'un se serait approprié une bonne part de l'assiette.
Une nouveauté pour moi, NGC 5986, situé dans le triangle Nord du Loup.
A première vue, ben oui un globulaire, il y en a des masses surtout qu'on s'approche tout doucement du centre de la Voie lactée.
A deuxième vue décalée, aha ? Tiens, une étoile plus brillante en avant plan ? Ah non, pas une, il y en a deux là !
Voulant en savoir plus, une terre nette m'apprend qu'il s'agit bien d'étoiles au sein de l'amas (pas d'avant plan donc) et que ces étoiles, comme les delta's Céphéides, sont des jalons de mesure de distance.
Chouette non ?

Le troisième mouvement se termine en étincelante finale.
Bien rassasié en musique céleste, j'applaudis pendant que l'éclairagiste illumine progressivement la scène.

Et là, surprise !
Un bis ! Ouaiiis, ce n'est pas fini ! le Maestro revient sur scène !

Les musiciens entament une aubade et ce sont les décoristes qui sont mis à l'honneur.
Le ciel se coupe en deux le long de la Voie lactée.
Celle-ci, bien blanche, comme une gigantesque arche sur l'horizon Est, annonce la venue du seigneur du jour en peignant la voûte en dessous d'elle d'un dégradé turquoise.
Au dessus de l'arche, le ciel nocturne, voulant encore être salué, contraste d'un gris souris, virant au rouge.
Lentement le bleu s'impose, la nuit s'efface courtoisement, les ténors finissent la cadence.
Je ne suis pas prêt de l'oublier cette scène! Heureusement car en photo, ça ne donne pas la moitié du quart de l'once:


 


C'était beau à en pleurer !
Pleurer devant une œuvre parfaite, mais pleurer aussi de savoir l'humain parfois si bête, si borné et égoïste.
Une bonne dose d'astronomie serait probablement plus pertinente pour notre petite boule bleue, que les fanfaronnades de bonnes intentions.
Ça relativise notre place dans l'univers!

 

Merci pour votre écoute et vive la musique !

Patte.



05/04/2010
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