04-Forcalquier été 2005

Croa envoyé pour le concours Webastro 2005.
Lauréat! Chouette hein?

Vacances Astro 2005, CROA's & Cie.



Décor:
SE de la France, au Pays de Forcalquier, un terrain «*privé*», où depuis déjà une trentaine d'années le propriétaire construit petit-à-petit un refuge. Il y a de l'eau de rivière et de source, un frigo au gaz et de quoi cuisiner.
Ce n'est pas le luxe: pour les commodités une fosse septique entourée d'une pallissade en bambou. On prévoit un sac à douche qui après une journée au soleil offre une eau bien chaude, à prendre sous un arbre en fin d'après-midi.
Des amis viennent et vont, choisissent un coin ombragé pour planter leur tente.
Une tonnelle commune nous acceuille pour l'ombre diurne et les festivités nocturnes.
Un paysage superbe, faune riche et flore typique région calcaire sud. Et puis le ciel d'une pureté!

Personnages:
Quelques couples avec des enfants (entre 4 et 9 ans), des célibataires dont mon ami et chauffeur Bertje et comme Guest Star Olive de Marseille.

Instruments:
Blitziou (les jumelles de 7x50), Biniou (gros bino de 20x90) et Igor, dit «*le monstre*» (Seben 150/1400).

En avant la musique, voici le journal de bord!

PRELUDE

Quelques nuits d'observation avec le Cercle Astronomique de Bruxelles étaient prévues en Auvergne, près d'Ambert. Un événement heureux a retardé notre départ: une petite du nom de «*Jishi*». Elle avait reporté sa venue sur planète Terre de quelques jours et comme on voulait absolument voir sa petite frimousse avant de partir, l'étape Ambert est annulée, recta direction Forcalquier.

Vendredi, 5 août vers 22H, Bertje arrive avec la voiture déjà chargée à mort. Il monte et voit ce que j'ai préparé comme bagages: 2 tentes (une pour les instruments, une pour votre narrateur), une chaise et deux fauteuils pliants, le Space Seat, matelas autogonflant, sac de couchage, tuyau trépied monture, gros bino trépied photo, bibliothèque, quelques vêtements etc... Il me regarde en fronçant les sourcils:*«*C'est tout?*» Je lui réponds qu'il n'y a pas grand chose, même pas de Dobson de 250!

Le temps passe, le temps presse. Afin d'éviter les files sur Lyon et Avignon il y a intérêt à se dépêcher.
On entasse tout à la va vite dans la voiture et voilà enfin le grand départ vers des cieux cléments.
Trajet sans problème excepté les files qu'on voulait éviter. Tant pis, ce sont les vacances, pas s'énerver!
Trajet de nuit aussi mais comme co-pilote je devais me concentrer sur la route et ne pas trop regarder en l'air. N'empêche, c'est plus fort que moi, en traversant la France vers le sud avec quelques boucles vers l'est, bingo, je suis tombé sur Mars! Le pare-brise n'étant plus très propre à l'intérieur je me propose de le nettoyer, magnanime. Bertje ne se doutait pas qu'en fait j'en profitais pour admirer la Rouge et la situer dans l'espace. Bélier, Poissons, dans ces zones...allez, retour vers la route, encore 4-5heures de trajet à faire.

Arrivée au domaine vers 10H.
Repérage des lieux, j'installe ma tente dortoir à l'ombre d'un chêne et «*l'observatoire*» sur un plateau. La vue est bien dégagée.
Petite bouffe et puis sieste bien méritée.



PREMIERE NUIT 6-7 août

Il est presque 23H, je monte vers l'observatoire et commence à installer le Space Seat, le télescope attendra demain, d'abord me familiariser avec le ciel d'ici. Les gosses les plus âgés montent aussi:*«*Tu es Docteur en Astronomie? J'peux regarder? Moi aussi?....*» Et des grandes pupilles qui regardent dans Biniou, et des petites mains qui se frottent aux lentilles.
Aïe, je leur laisse Blitziou car avec mon gros bino de 4 kg ça craint, danger casse.
Peu après les parents mettent les bambins au lit et se rassemblent sous la tonnelle autour d'une bouteille de pastis.

Minuit au pif.
Enfin seul avec l'infini (et avec ma gourde de survie: une petite réserve de pastis, déjà rallongée à l'eau de rivière).
Pour commencer me repérer dans cette miriade d'étoiles. A Bruxelles j'ai l'habitude de reconnaître assez facilement les constellations: on ne voit que les étoiles phares. Ici, par ce ciel pur et sans Lune j'étais ébloui par la quantité, la magnitude, à tel point que je ne trouvais pas Cassiopée!
Bon, la Grande Ourse OK, Polaris par là, donc Cas. ici, m'enfin, où est-elle? En pleine Voie lactée, je ne savais plus où mettre les yeux.
Un petit pastis et puis hop la bonne idée: j'ôte mes lunettes de myope et miracle, je ne vois que les plus brillantes et reconnais immédiatement mon ciel habituel.
Les repérages et alignements faits, les azimuts bien impregnés, mon orientation ancrée, un nouveau monde s'ouvre à moi.

Quand je pense que la passion astro m'est venue ici même, à Forcalquier l'année passée quand j'ai vu pour la repremière fois la Voie lactée depuis des années!
Me revoilà ces vacances-ci, avec un 150/1400, un petit et un très gros bino, avec des infos plein la tête glanées ça et là sur WA, dans les livres et magazines
Cette première nuit fût une révélation, je m'attendais au plaisir mais pas à ce point. Quel bonheur en perspective!

Au loin résonnent les rires des copains. Pas question de me joindre à leurs grivoiseries, j'suis bien là haut sur ma colline, peuvent toujours siffler!
En quelques heures de temps j'ai vu plus et mieux en ciel profond que pendant une année à Bruxelles.
M13, 31,51,57,22...plein plein plein!

Demain je monte le télescope, une collimation sur étoile artificielle me semble nécessaire pour commencer, ça va frapper!


INTERLUDE

Le Soleil me réveille gentiment vers 10 heures. Après cette première nuit d'observation mes rêves étaient doux, sereins. Pleine forme donc en ce petit matin (tout est relatif, quand on se couche à 5-6heures!)

Au programme: montage du télescope et collimation.
Tiens, où est passé le contre-poids? Je ne me rappelle pas l'avoir porté, Bertje non plus. Faut se rendre à l'évidence: dans la précipitation du départ histoire d'éviter les inévitables bouchons sur Lyon et Avignon, le contre-poids et sa tige sont restés à Bruxelles. Gasp! Damned! «*Sigh*»!

Bon, pas de panique, chaque solution a son problème. Une cigarette, un pastis, s'asseoir et réfléchir.
Pas question de l'utiliser sans contre-poids, la monture n'est pas des plus stables et je ne veux pas l'esquinter et la rendre encore plus branlante.
Débloquer les freins et l'utiliser à la Dobson, le tuyau en main? Faisable mais pas confortable.
Aaaah, que le diable emporte cette satanée distraction qui m'est propre!
Avec une tige filetée de 10mm au pif je peux m'improviser un contre-poids. Je vais voir le propriétaire des lieux avec la monture. Cinq minutes après il sort une tige de 10 de son cagibi, ainsi que des vieilles pièces de plomberie. Hop, vissage, c'est bien du 10, contrebalançage, scotcher la plomberie sur la tige et voilà le travail.
L'assemblage n'est pas esthétique mais ça marche. Faut fêter ça!
J'apporte le pastaga et plus tard, la bouteille étant vide et une autre entamée, je me suis sagement résolu à reporter la collimation au lendemain. A chaque jour suffit sa peine, une sieste s'impose avant d'attaquer ma seconde nuitée.



(remarquez le contre-poids)


SECONDE, 7-8 août

Là-haut sur ma colline je siffle un air de B. Marcello.
Le vent s'est enfin apaisé. Cela facilitera la tâche des pompiers qui combattent un feu de forêt qui sévit une vingtaine de kilomètres plus loin, direction par où soupire un Eole calmé.
La fumée cherche désespérément un nuage à qui causer. Il n'y en a pas, frustrée elle se dissipe lentement.
Tout est prêt, le crépuscule commence, que la fête soit!

Jupiter règne en maître sur l'horizon ouest.
Coup d'oeil dans le télescope. Houlàààà, pas moyen de grossir, l'oculaire zoom restera sur 24, une très sérieuse collimation s'impose. Biniou offre une meilleure vue, un comble pour le planétaire.
Je laisse Igor et Biniou, pends Blitziou au cou au cas où et scrute l'allumage des feux célestes.
Arcturus gagne, Véga vient en second, puis Altaïr et Deneb.
La Grande Ourse se dessine, les constellations prennent place, la Voie lactée se détache de la nuit qui s'installe.
Moi aussi, je m'installe dans le Space Seat avec Biniou.
Début de nuitée, je retrouve aisément les beautés aperçues hier. Ayant bien imprimé les alignements, les cheminements dans ma petite tête, le grand champ du bino me permet d'admirer sans devoir chercher. Mais vivement le socle tournant: faut se lever tous les 30-40 degrés (certes j'en profite pour me taper un petit remontant).
Tentative d'observation avec Igor: bof bof bof, pas moyen de grossir, champ étroit, non, je reste avec Biniou jusqu'a recollimation du monstre.

Vers 2H ça commence à cailler sérieusement. Je descends faire une petite pause en compagnie de Bertje et Peppie, seuls rescapés de la fiesta et qui avaient une conversation hautement philosalcoolofique à propos de la vie extraterrestre et des ondes cosmiques. Une rasade de Vodka citron ne suffisait pas à me mettre à leur niveau, aussi décidai-je de remonter sur ma colline (faut pas oublier que l'abus d'alcool rend la vision binoculaire impossible).
Drapé d'un sac de couchage, après avoir reçu des tonnes de compliments à propos de mon élégance vestimentaire, je me réinstalle bien au chaud dans le Space Seat. Orientation Voie lactée NE-Zénith.



(le ridicule ne tue pas)

D'Albiréo je descends vers Céphée, l'étoile Grenat dans le collimateur.
Corindon rouge, ce petit rubis, à ce qui paraît serait la «*polaire*» de Mars. Ne serait-ce pas beau, une polaire comme ça mais en plus comme la notre sertie sur une bague enjolivée de petits brillants?
Voilà encore une bonne idée de cadeau cosmique à faire, je laisse mon esprit vagabonder et repense à mes soirées astromantiques. Hélas, qu'ai-je à offrir sous le ciel de Bruxelles par rapport aux trésors d'ici: les anneaux de Saturne, les perles de Jupiter, l'orangée d'Albiréo avec son saphir...mais pas de µCephei par exemple, ou tous ces amas ouverts ou globulaires qui ressemblent à un éparpillement de brillants sur un tapis de velours noir...rien de tout ça chez moi: juste un peu de poussière de quartz sur une serpillière orange délavée. Pollution, je te hais!

Ah! A Bruxelles on peut tout de même deviner la petit broche en forme de libelulle (comme dit Lafanet, NGC457), hop, j'y descends en passant par les bijoux de Cassiopée, la «*vaniteuse épouse de Céphée*». Pas étonnant cette vanité, parée de tant de pierres précieuses. Mythologie oblige, un petit bonjour à Andromède et notre voisine M31, haaaaah!
Puis son sauveur Persée.
C'est alors que je n'ai pas pu m'empêcher d'émettre un WAOUW qui a fait taire les grillons encore actifs. Je venais de voir Persée comme jamais auparavant! Dodo maintenant, j'y reviendrai demain.

PAUSE

Lundi 8 août. Igor a vraiment besoin d'être aux petits soins. Sa crise de jalousie à cause de l'arrivée de Biniou, le voyage, le trimbalage, le fait que je le trompe ouvertement en poussant des OOOOH, des AAAAAH, des Oh OUI OUI OUI avec la dernière. Le fait d'être affublé d'un contre-poids de fortune qui frise le ridicule.
C'en est trop pour le monstre. Faut le cajoler le pauvre.
.
Fin d'aprèm, je l'oriente soleil dans le dos. Tout comme on prendrait la température d'un malade, je lui mets l'oeilleton dans le PO...oufti, n'a jamais été aussi bigleux mon Big Igor!
Toutes les étapes y sont passées: regarder dans le tuyau et recentrer le secondaire qui était franchement décalé, puis ajuster les miroirs à l'aide de l'oeilleton. Le dégrossissement étant fait je grimpe un peu plus loin sur la colline et y place l'étoile artificielle. Résultat potable. Airy a l'air un peu défiguré mais je ne suis jamais parvenu à obtenir mieux. La Barlow intégrée rend cette opération quasi impossible probablement.
En bas la compagnie s'affaire au souper. Je rejoins la troupe pour l'apéro après avoir jeté un oeil sur le croissant sélène, pâlot mais visible. Elle va devenir de plus en plus envahissante notre Lune, pas oublier qu'elle grossit chaque jour en se déplaçant de 13° vers l'est et se couche de plus en plus tard.


TERTIO, 8-9 août

J'ai bien mangé, j'ai bien bu, j'ai la peau...on me signale la présence de garnements sur l'observatoire. Dare dare je monte, heureusement! Les gamins étaient en train de chipoter ce qui est chipotable, tripoter le tripotable. Biniou avait la tête en l'air et l'alignement du chercheur d'Igor était à refaire. Rien de bien méchant, des gamins c'est des gamins, impossible de les réprimander, en plus ils ont chopé le virus astro!
Ils ne le feront plus, c'est promis. Et chaque soir ils m'aideront à monter le matos migrateur: chaise pliable, valisette d'oculaires et accessoires, couverture et vêtements supplémentaires, cartes célestes et carnet de notes.
Ravis qu'ils sont ces petits papillons de nuit, en plus les parents les laissent veiller plus longtemps!

Un des gamins dit que Jupiter est sa planète préférée, ça tombe bien, elle est encore bien visible.
Cap sur Juju avec Igor. Les galiléens sont joliment alignés à l'ouest de la géante.
Aux gamins de regarder maintenant. Souvent les gens font un drôle de rictus en regardant par l'oculaire, comme si au plus qu'on ferme un oeil, l'autre verrait mieux.
C'est différent chez mes jeunes «*disciples*»: la grimace s'arrête au niveau du nez pour laisser place à une bouche mi bée mi sourire, une expression d'émerveillement donc, comme à la finale d'un feu d'artifice.

Bien vite Jupiter sort du champ, j'en profite pour expliquer l'effet de la rotation journalière terrestre, le mouvement apparent de la voûte d'est en ouest.
Moyen facile pour qu'ils ne se battent pas pour regarder: je centre la gazeuse et le premier regarde jusqu'à ce qu'elle disparaisse, recentrage et au suivant...ça m'a en outre évité les explications fastidieuses sur le fonctionnement de la monture équatoriale. Le «*maître*» doit avoir quelque chose d'un magicien pour entretenir l'enchantement de ses adeptes (ça ne sert à rien d'avoir quelque chose de Tennessee, on a tous quelque chose de Tennessee, c'est truc machin qui l'a dit).

Jupiter s'est couché et j'entends l'appel à l'ordre de la part des parents, faut que les gosses se couchent aussi. Je descends fissa négocier encore une petite demi heure de veille pour les enfants (et me chercher ma gourde de survie). Accordé!
Assis sur une bâche à la lueur d'une torche rouge, les questions fusent à propos de Jupiter et ses Lunes.
Consultation des éphémérides de ce mini système solaire qui a fait dire à Galilée «*Eppur si muove*»
On a vu de gauche à droite dans l'oculaire Ganymède, Io, Europe et Callisto. hormis Ganymède on les voit dans leur séquence naturelle.
Et cette remarque de Roeland, le plus âgé: «*Jupiter est peut-être la plus grande du système solaire mais si on enlève le gaz, que reste-t-il?*»
Héhé, ça promet à 9 ans! Je dis qu'on ne sait pas bien, un noyau rocheux en fusion sans doute.

La (bonne) demi heure passée, je descends avec les mômes qui s'empressent de raconter à leur parents ce qu'ils ont vu. Des parents qui eux s'empressent de les mettre au lit afin de rejoindre au plus vite les comparses sous la tonnelle.
Une pause s'impose, je reste un peu en bas. Marc, notre botaniste, nous fait un petit exposé sur la flore locale, sur la propagation des feux de forêt, la nature du sol...
Plus qualifié en entomologie, à mon tour d'éclaircir mes amis sur les différences entre ces bestioles qui nous rappellent à chaque instant qu'on est en pleine nature: criquets, sauterelles, grillons et cigales.
Le tout agrémenté d'un bon petit rouge du Lubeuhron voisin.




Retour sur ma colline.
Retour sur Persée qui m'a tant charmé la nuit passée.

Au télescope pour commencer. Le double amas, puis alpha, alias Mirfak avec sa miriade de compagnes.
Passage sur M34 et retour vers Algol, qui signifie «*tête du démon*», modèle de variables à éclipse.
Ces noms d'étoiles nous viennent souvent de l'arabe. On doit beaucoup à ces astronomes du IX au XIV siècle, qui de Bagdad à Marâgha n'ont cessé d'améliorer l'oeuvre de Ptolémée!
J'en prends plein les mirettes mais le champ de Biniou est tellement attrayant que je laisse Igor contempler le ciel tout seul et m'installe dans le Space Seat.
Ce qui me plaît tellement dans Persée c'est le contraste entre les zones dans et hors de la Voie lactée.
Le passage d'un gris laiteux vers du noir profond parsemé d'une multitude d'étoiles à faire bleuir les Pléiades de jalousie.

Tiens, justement les voilà bien hautes maintenant. Comparaison avec les Hyades. Une préférence? Oui: le contraste avec l'orangé de l'oeil du Taureau voisin des Hyades n'arrive pas à compenser la beauté du camaïeu bleu des Pléiades. En plus les Pléiades avec leur 2° sont toutes réunies dans le champ de 3.4° de Biniou, c'est du plus concentré que les Hyades qui s'étalent sur 6° . En plus les Pléiades me font penser au module lunaire d'Apollo-11, celui que j'ai vu «*live*» sur la Lune quand j'avais 6 ans. Il y a des images qui restent gravées à jamais.

Retour vers Igor et direction Mars. Les astrologues diraient qu'une tempête astrale se prépare pour les Béliers car Mars est dans sa «*maison*».
Comment est-ce possible de croire en telles balivernes? Figurez-vous qu'il y a même des horoscopes pour animaux domestiques maintenant!
Bon, observation pure et dure: phase gibbeuse, calotte australe. Autre chose? Non, Igor a ses limites, faut pas rêver et espérer voir de jolies Martiennes batifoler dans l'eau pure des canaux (comment ça je raconte des balivernes?).
J'essaie de contrôler cette histoire de µCephei qui serait la polaire de Mars.
Aucune idée de comment m'y prendre, j'abandonne, la fatigue arrive...
Six heures du mat, l'aurore est là, le soleil va se lever, je vais me coucher.


INTERMEZZO

Un lendemain paisible, on va faire les emplettes.
En fouinant dans une librairie je tombe sur le «*Photo-guide du ciel nocturne*» de D&N, pas mal ce bouquin à première vue, je me l'offre ainsi qu'un guide des fleurs sauvages pour approfondir mes activités diurnes.
Le ciel se couvre, pas d'astro ce soir quoique: j'ai mon nouveau livre, je tire ma révérence et m'installe comfortablement dans ma tente, radio Zinzine en sourdine et je bouquine.
Vraiment un bon achat, ce guide est devenu un de mes livres de chevet.
Satisfait je me suis endormi assez tôt, j'avais pas mal de sommeil à récupérer.

Le temps est passé à l'orage les jours suivants. Beaux spectacles nuages-éclairs-étoiles. Le matériel était à l'abri sous une bache supplémentaire. Elle ne fût pas nécessaire, les éclaircies reprenaient le dessus, ça s'annonçait bien pour la nuit des étoiles filantes.




NUIT DES PERSEIDES, 12-13 août

C'était au tour de Bertje et moi d'assurer la restauration de la tribu. Apéritif Bau (méthode champenoise) aromatisé à l'Amandine. Filets de dinde sauce champignons estragon avec purée, pas de dessert mais un pousse-café inventé par Bertje la veille. Tenez-vous bien: un subtil mélange sur-sucré, composé de Vodka, jus de citron, Amandine et sirop de framboise. La couleur me rappelle celle de l'étoile grenat de Céphée. Aussi je propose de baptiser ce cocktail «*Mucéphée*».
Devant la consternation de l'inventeur j'essaie d'éclaircir sa chandelle en montrant une parcellaire de la constellation. Il tombe sur sa voisine Camelopardalis, pense à «*je fume une Camel au bar d'Alice*» et tout fier d'avoir retenu le nom opte pour celui-ci. Soit, c'est à lui de décider, bon, voilà, dorénavant un «*Camelopardalis*» c'est aussi un cocktail.
J'invite l'assemblée à monter vers l'observatoire, on y va au complet, à 17.
La Lune atteint presque son premier quartier et attire tous les regards. Les gosses sont fascinés par le terminateur et rares sont les adultes qui parviennent à se frayer un passage vers l'oculaire. La méthode de laisser filer l'argentée du champ de l'oculaire d'Igor, recentrer et à chacun son tour montre son efficacité. Biniou est pour l'occasion monté en position d'observation debout pour les gosses, assise pour les grands.
Blitziou assure l'intérim.
Pas facile de rester zen quand on est seul avec 3 instruments et qu'il faut satisfaire 16 personnes qui s'enthousiasment les uns les autres, ajuster ici, rééquilibrer là, expliquer les constellations par ailleurs et compter les étoiles filantes par dessus!

Pfffiouu, j'ai eu chaud là, mais je content d'avoir pu un peu partager cette passion. Pas de casse. Pendant que les «*vieux*» couchent les «*jeunes*» je range déjà le matos. Les Perséides, vaut mieux en profiter à l'oeil nu. Pas de Mars donc cette nuitée, mais une soirée copieusement arrosée d'une pluie de Perséides et d'alcool comme vous le verrez par la suite.

Peu après on se retrouve sous la tonnelle, chaises direction le radiant.
Voeux et souhaits pour les uns les autres, observation pure et dure en ce qui me concerne.
Pas pour longtemps: l'esprit subversif de Bertje a proposé de boire une petite Vodka à la santé de chaque météore aperçu.
Dur dur pour mes mémoires: le reste de la soirée reste embrumé.
A ce qui paraît, j'aurais à 2 reprises vérifié la loi de Newton en me laissant choir dans les herbes et plantes sauvages. Cela pourrait s'avérer exact vu que le lendemain on a du se mettre à plusieurs pour retrouver mes lunettes, égarées quelque part dans le champ d'expérimentations gravitationnelles.
Je me souviens vaguement qu'une âme charitable m'a soutenu (moralement) ce soir-là pour rejoindre ma tente. Pas facile la vie de scientifique!


RETOUR AU CALME

Après cette nuit mémorable (si j'ose m'exprimer ainsi) le calme est revenu petit-à-petit: fin de vacances pour les amis. Ils sont obligés de migrer vers la grisaille du Nord, je me retrouve seul avec mon compagnon de voyage, on devient plus sage.

Les balades dans la Voie lactée avec Biniou me donnent immensément de plaisir. Je délaisse un peu Mars pour l'instant car je me suis pris trop tardivement à l'exploration du Sagittaire et du Scorpion, dont Antarès («*rivale de Mars*») est fort basse. Il est encore temps d'en profiter mais ça devient de plus en plus difficile car Madame Lune est dans les parages. Insomniaque elle ne se couche que vers 2H du mat, les veillées restent tardives. Le manque de sommeil? Boah, on a l'année pour se reposer des congés, non?
Faut profiter du ciel qui m'est offert ici. Mars sera bien visible à Bruxelles, RV octobre-novembre pour une observation sérieuse.
Question Lune je n'avais jamais imaginé une telle influence sur la qualité du ciel, que tant de petites merveilles se perdent dans la clarté sélène.
Donc première partie de la nuit consacrée à l'argentée, puis petite pause partie d'échecs le temps qu'elle descende assez sous l'horizon et enfin reprise du ciel profond.
La différence de température jour-nuit s'accentue. Vers 5-6 heures je rejoins ma tente en grelottant et me blottis dans ma couette. Avant le sommeil je récapitule mes observations et tiens mon journal de bord à jour, un p'tit dernier style Vodka puis extinction des feux. Je m'allonge et ferme les yeux, passe en revue les plus belles images restées en mémoire, une musique de choix aux oreilles.

Ah, une nuit c'était la troisième symphonie de Górecki, je la connais par coeur mais je ne m'en lasse pas. Une symphonie en 3 mouvements, triste et sombre au début. Un hommage aux victimes des camps de concentrations nazis. Le troisième mouvement par contre se termine en La majeur, des notes d'espoir, de délivrance, lumineuses comme la liberté fraîchement acquise.
Le Mistral s'est mis à accompagner l'accord final, le bruissement des feuillages s'intensifiait en harmonie avec la musique, le frôlement du vent sur ma tente augmentait mon sentiment de bien-être dans mon nid douillet.
Ce fût un moment de délice. Je voulais que le temps s'éternise, que cet instant dure.
Tiens? Une petite larme de bonheur?
Ben, oui, apparemment ça arrive aussi aux scientifiques endurcis, faudra consigner ce fait dans mon carnet de notes!


DES BELGES A MARSEILLE

Les jours passent, vite, trop vite. La Lune va bientôt atteindre sa plénitude et les nuages se font plus nombreux.
Par le biais de WA, Olivier13 m'a proposé de passer par Marseille. Proposition acceptée avec joie, RV le 17 au stade OM. Malheureusement Gibehem n'était pas libre, l'année prochaine peut-être?

Olive me reconnaît grâce aux photos du Trombi. Nous le suivons jusque chez lui et on planque la bagnole avec le matos dans son garage. Présentations: Bert, Olivier; Olivier, Bert; Patte, Olivier; Olivier, Patte; Bert, Patte; Patte...ah oui c'est bête, on se connaît déjà.
Alors, qu'est-ce qu'on fait main'nant? Plage!

Belges, amateurs de bière, Olive nous surprend avec une production locale: la Cagole.
Bien légère et fort rafraîchissante cette petite blonde. On discute astro évidemment, sauf le pauvre Bertje qui n'est pas encore accro. Donc, pour cette raison (et uniquement pour cela, Dieu m'en soit témoin), parfois on se permet de temps en temps de hazarder une digression en regardant et commentant brièvement les beautés féminines qui passent par là. Le fait que je les mate avec le chercheur 8x50 d'Olive n'a rien à voir avec de vils vices voyeuristes (que mon âme soit damnée si ce n'est vrai) non non non, ce n'est que pour apprécier la qualité de l'optique.

Petit plongeon dans la Méditerranée histoire de calmer les ardeurs causées par le soleil et en se séchant petite discut' à propos de la soirée astro.
Le coin d'observation d'Olive est à 40 km mais on peut pousser plus loin: la giga-lunette de Rocbaron vaut bien le détour.
Discut' en vain, les nuages ont eu le dernier mot: pas d'astro. Ainsi soit-il, soupir, mais ils ont donné un beau tableau en masquant partiellement le soleil. Vu à travers des lunettes solaires et le filtre Lumicon d'Olive ça valait la peine, pur style carte postale.

Nous voilà donc abaissés au rang de bêtes touristes, avec comme seul intérêt les nanas, la boisson et la bouffe.
Heureusement qu' Olive redresse la barre en nous emmenant vers les Calanques. Il nous fait voir ses lieux de plongée, d'escalade... C'est magnifique, pourquoi encore vivre au Nord? Pourquoi pas s'établir ici au Sud? Il y a tout pour être heureux!
Olivier n'idéalise pas Marseille. Il est vrai que la beauté d'un paysage s'estompe avec l'habitude mais il y a plus grave: Marseille souffre d'un abcès de petite délinquance et de grand banditisme. Peut-être pire qu'à Bruxelles? Aucune idée, mais encore une fois la différence de richesse entre les gens ou plus sommairement le fric peut pourrir un coin de paradis.

La nuit est tombée sur les nuages, on déguste des pizzas au bord de la plage en parlant d'un peu de tout mais pas de bagnoles, pas de foot, ni de gonzesses (quoique, à vérifier)
Ensuite se désaltérer dans un pub Irlando-Marseillais.
Oli est impressionné par notre capacité d'ingurgitation et déclare forfait. Il est vrai qu'au petit matin une petite réclame son papa.
Sur ce on se quitte, ce n'est qu'un au revoir...



(Bertje et Olive)


EPILOGUE

Retour à Forcalquier vers les 3-4 du mat. Les nuages y sont aussi, pour l'astro les derniers jours semblent foutus, hormis le jeu de la quasi pleine Lune avec les moutons.

La route nous a tenu bien éveillés et ni Bertje ni moi sommes fatigués. On se tape un «*fly*» comme on dit à Marseille pour un pastaga et nous commençons une partie de «*bidanque*».
Faut que je vous explique là car vous n'y êtes pas du tout. Bidanque vient de l'association de 2 termes: «*bidon de 5 litres de vin vidé*» et «*pétanque*».
Chaque participant a 3 bidoules: une vide, une lestée de 33cl d'eau et une de 99cl, une canette de Kro sert de standard pour les 33cl. Le laichonnet, une bouteille plastoche de lait lestée du contenu d'un verre de Casanis d'eau, est lancée. Vous devinez la suite, il s'agit de projeter à tour de rôle ses bidoules au plus près du laichonnet. Tirer ou pointer avec ces bidons qui font blong blong blong en tombant fait déjà bien sourire, mais quand le laichonnet est resté accroché aux branches d'un petit arbre (Aubépine, Crataegus monogyna) c'était trop. Je me suis roulé, non, tordu de rire par terre.
La partie s'est arrêtée là, les abdominaux n'en pouvaient plus.



(démonstration d'un tiré-pointé par Bertje)


Un peu de sérieux messieurs! Des trouées, Mars qui se pointe, qui se tire, ah non, sérieux hein! Faut essayer de suivre la Rouge jusqu'à l'aube, comme lors de mon «*premier Mars*», où je l'ai traquée tant qu'elle était visible.
Du coin de l'oeil j'aperçois un éclair au nord. Mentalement je compte les secondes: un...deux...trois...à quatre mon pote lache un pet tonitruant. 1200 mètres! Retour vers la terre, mort de rire.

Les larmes aux yeux, je pars dormir.

C'est fini pour l'astro à Forcalquier ces vacances, le retour du beau temps coïnciderait avec mon départ.
Bah, comme ça ma frustration de retrouver le ciel de Bruxelles sera un peu atténuée!



Forcalquier, le 20/08/2005.


05/08/2007
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